Entre le Maroc et Jacques Brel, une histoire d’inspiration partagée

Cette relation méconnue entre Brel et le Maroc, longtemps restée dans l’ombre des biographies traditionnelles, trouve aujourd’hui une éclatante restitution dans le livre d’Hervé Meillon, « Jacques Brel, Couleurs Maroc ».
Dans ce récit narratif, le journaliste et écrivain belge, qui a vécu quatorze ans au Maroc, retrace les liens profonds que Jacques Brel a tissés avec le Royaume, et explore la relation vibrante et complice qu’il a entretenue avec son public marocain au fil de sa carrière.
Jacques Brel découvre le Maroc en 1956, à l’aube de son parcours artistique. De Rabat à Casablanca, de Meknès à Tanger, il se produit sur les scènes locales, s’imprègne des paysages éclatants et des lumières étincelantes, et se laisse séduire par la chaleur humaine qui s’en dégage. Ses séjours, à la fois professionnels et privés, laissent une empreinte durable sur son imaginaire et inspirent nombre de ses œuvres majeures.
Selon Hervé Meillon, certaines pièces maîtresses de son répertoire, telles que « La Valse à mille temps », « Jeff » ou encore « Amsterdam », ont trouvé leurs premiers échos entre Casablanca et Tanger. Le Maroc apparaît ainsi comme un véritable catalyseur de créativité, offrant au Grand Jacques cette bouffée d’oxygène et cette lueur ardente qu’il ne trouvait plus sous les cieux européens.
L’auteur révèle dans ce livre où se croisent témoignages et souvenirs, la nature double du lien entre Brel et le Royaume, à la fois matériel et affectif, concret et spirituel. Le Maroc lui a offert cette clarté, cette flamme et cette liberté intérieure dont il avait tant besoin. Il en restitue la couleur, en filigrane, dans ses compositions et ses vers.
Plus d’un demi-siècle après sa première tourée au Maroc, la présence de Jacques Brel demeure vivante et vivace. Son œuvre continue d’y être fredonnée et célébrée avec ferveur et affection.
Hervé Meillon raconte ainsi l’histoire touchante de Mostapha, gardien d’immeuble à Meknès, qui ne parle pas un mot de français mais chante dix chansons de Brel par cœur. Une image saisissante de fidélité et de transmission comme si la voix du poète belge avait trouvé, au-delà des barrières linguistiques, un langage universel, capable de transcender les frontières pour venir se greffer aux cultures lointaines.
Cette anecdote révèle l’étendue de l’empreinte laissée par l’auteur-compositeur-interprète bruxellois dans la culture marocaine et témoigne de la réciprocité d’un lien authentique et intime entre le chanteur et le public marocain.
Au-delà des scènes et des concerts, c’est un voyage privé à Meknès à la demande de son épouse Miche qui scella l’attachement profond de Brel au pays, relate Hervé Meillon. Loin des projecteurs, Brel découvre un Maroc personnel, apaisant, où il puise une nouvelle énergie créatrice et régénératrice.
Plus qu’une muse, le Maroc est un miroir de l’âme et de l’humanité de Brel. Il y trouve non seulement l’inspiration artistique, mais aussi une sensibilité profonde à la vie et à la beauté. Les sons, les saveurs, l’hospitalité et la convivialité l’enrichissent et alimentent son regard sur le monde.
Cette rencontre inattendue et insoupçonnée avec la culture marocaine est à la fois sensorielle, intellectuelle et émotionnelle, et transparaît dans l’intensité des textes et des titres légendaires qui font la renommée du Prince des marquises.
Presque cinquante ans après son départ ultime, Jacques Brel, voyageur intrépide épris d’horizons et soif de découvertes, demeure vivant dans le souvenir et le cœur des Marocains, preuve d’un lien qui traverse le temps et les générations.
Le Maroc, avec ses lumières, ses sonorités et sa poésie, reste pour lui une source d’inspiration intarissable et un pays qui a contribué à forger l’homme et l’artiste, et à inscrire dans son œuvre une dimension universelle et éminemment humaine.
Ainsi, retracer le parcours de Jacques Brel sans évoquer son lien avec le Maroc, ce serait omettre une part essentielle de son génie. Sur cette terre d’accueil, l’artiste a trouvé bien plus que des paysages enchanteurs et des visages empreints de générosité. Il y a découvert un sanctuaire intérieur, un berceau d’imaginaire et d’élan créateur, qui continue de de résonner dans l’œuvre intemporelle de celui qui chantait, avec intensité et fragilité, la beauté de la vie et des hommes.



