Thé amer : Bois, mange et venges-toi !

Chronique C’est l’histoire d’une écrivaine franco-marocaine qui a toujours porté haut ses origines marocaines. Une auteure qui a su nous raconter avec passion et talent la saga de sa famille. Leila Slimani, puisque c’est d’elle dont il s’agit, est une conteuse redoutable. On entre dans sa trilogie, « Le pays des autres », pour n’en sortir que trois tomes plus tard, après avoir emporté le feu avec elle.
On s’est dit avec fierté : on l’a notre écrivaine au Goncourt qui ne fait pas la danse du ventre pour décrocher distinction littéraire et passages sur plateaux télé. Enfin une qui ne fait pas dans la carte postale sépia, forcément jaunie, pour vendre une image orientalisée du pays.
On était bien contents avec cette Slimani qui a su rester vraie, sincère, talentueuse. Qui s’est inspirée de l’histoire de sa famille pour raconter trois générations de femmes, mêlant histoire personnelle et histoire du Maroc. On l’a aimée cette femme qui porte les voix de femmes pour écrire de belles histoires de femmes, marocaines et franco-marocaines, auxquelles peuvent s’identifier nos grand-mères, nos mères, nos filles. On était convaincu, persuadé, sûr que cette Slimani, notre Leila Slimani ne serait jamais danseuse du ventre, charmeuse de serpent ou mangeuse de cornes de gazelle devant un auditoire de là-bas qui boirait ses paroles comme du thé à la menthe brûlant. Bref, nous étions suffisamment naïfs pour croire qu’elle ne serait jamais comme qui vous savez.
Mais comme dans tous les contes, les belles histoires ont toujours une fin. Ici, la fin n’est pas un happy end de conte. Sur un plateau TV canadien, notre conteuse préférée nous fait un mauvais remake de « mange, prie, aime », ce film culte où Julia Roberts crève l’écran. Revisité par Leila Slimani, cela devient «Bois ,mange et venge-toi ». Expliquons le propos à tous ceux qui auraient raté les réactions sur les réseaux sociaux. Invitée à une émission de la télévision canadienne, l’écrivaine franco-marocaine a une intro annonciatrice du pire. Elle vient, explique-t-elle, « d’un monde particulier, le Maroc, où le rapport à la vengeance notamment chez les femmes est quelque chose d’important ». On dresse l’oreille. On est toute ouïe. Tant de généralités dans le particularisme,
c’est un voyage 5 étoiles dans cet « Orient compliqué » peint et dépeint par des de nostalgiques orientalistes.
Notre écrivaine sent que son auditoire n’est pas loin de succomber au charme de la danseuse du ventre et du charmeur de serpent réunis. Elle en rajoute une couche en parlant de sa grand-mère qui disait : « il y a trois choses importantes dans la vie : bien boire, bien manger et se venger ». La phrase de la grand-mère rapportée par sa petite-fille herself fait mouche. Pas mécontente de son petit effet, Leila Slimani enfonce le clou devant un public prêt à frissonner et à pousser des « waw » : « C’est-à-dire que la vengeance fait partie de notre culture ». Notre culture ? Ton Maroc ? Ta grand-mère ? Nos aïeules ? Les questions se bousculent. Les internautes ragent. Les commentaires acerbes ne comptent plus sur les réseaux sociaux. Et nous, avec toute la déception de Marocaines qui ne se vengent pas, on veut encore y croire et lui dire « non, pas toi Leila ! »



